Spectacle de Anne Théron et Claire Servant, d’après le scénario de Manuela Frésil
Théâtre Auditorium de Poitiers, 2008
Jean-Baptiste Droulers : création sonore et régie son de tournée

Synopsis
Abattoir est un spectacle d’une quarantaine de minutes qui met en scène deux hommes et une femme, ouvriers dans l’une des grandes usines de viande du nord-ouest de la France. Ils ont un destin commun : le travail les a usés jusqu’à l’os.
«Au début, on pense qu’on ne va pas rester.
Mais on change seulement de poste, de service.On veut une vie normale.
Une maison a été achetée, des enfants sont nés.
On s’obstine, on s’arc-boute.
On a mal le jour, on a mal la nuit, on a mal tout le temps.
On tient quand même, jusqu’au jour où l’on ne tient plus.
C’est les articulations qui lâchent. Les nerfs qui lâchent.
Alors l’usine vous licencie.»

Note d’intention
Au début, on pense qu’on ne va pas rester.
Mais on change seulement de poste, de service.
On veut une vie normale.
Une maison a été achetée, des enfants sont nés.
On s’obstine, on s’arc-boute.
On a mal le jour, on a mal la nuit, on a mal tout le temps.
On tient quand même, jusqu’au jour où l’on ne tient plus.
C’est les articulations qui lâchent. Les nerfs qui lâchent.
Alors l’usine vous licencie.
A moins qu’entre temps on ne soit passé chef, et que l’on impose maintenant aux autres ce que l’on ne supportait plus soi-même. Mais on peut aussi choisir de refuser cela.
Un spectacle d’une quarantaine de minutes, avec deux hommes et une femme, des ouvriers qui travaillent dans les grands abattoirs du nord ouest de la France.
A l’origine de ce spectacle, la lecture du scénario de documentaire de Manuela Frésil, et mon choc en découvrant la parole de ces ouvriers.
Dans ce monde inhumain, il reste ça, des hommes et des femmes encore capables de penser et d’exprimer cette pensée. Il y a donc cette parole, expression de la résistance, malgré les corps, abîmés, usés, anéantis.
Car un abattoir c’est d’abord une usine.
C’est une première étrangeté.
Pour nous qui n’y travaillons pas, l’abattoir n’est pas une usine, c’est un lieu loin de nous, où on met à mort les bêtes. Mais pour tous ceux qui y travaillent un abattoir c’est une usine, une usine qui produit de la viande.
Ce que Manuela Frésil a découvert, c’est que les gens tombaient malades.
Elle a demandé : « Vous êtes malades de tuer des bêtes ? »
Ils lui ont répondu : « Non, c’est les cadences qui nous rendent malades. On est physiquement malade. On est malade des épaules, des hanches, du dos, des tendons, des os… » Elle ne pouvait que constater qu’ils tombaient malades dans leurs corps de ouvriers. C’est comme si les corps des bêtes et ceux des hommes se mêlaient.
D’ailleurs quand ils racontent les gestes qu’ils font sur la chaîne de découpe, les ouvriers se prennent souvent comme exemple. Ils disent « Il faut couper le tendon là, entre ces os là… » en montrant leur épaule, leur bras, leur dos.
En même temps qu’elle applique aux animaux les procédures de transformation d’une matière inerte, l’industrie agro-alimentaire produit des conditions de travail d’une terrible violence. Les ouvriers avaient accepté que Manuela Frésil les enregistre, mais exigé que leurs témoignages restent anonymes.
Chacun racontait sa vie au présent. Ce présent était souvent comme le futur ou le passé d’un autre que Manuela venait d’entendre, qu’elle entendrait. Elle était frappée par le destin commun de tous ces ouvriers. Tous usés – usés jusqu’à l’os.
Lorsque Manuela m’a proposé d’utiliser ces matériaux pour en faire un spectacle, j’ai tout de suite accepté. Et lorsque j’ai proposé à Claire Servant d’écrire ce spectacle avec moi, de mettre en scène le corps dans l’épuisement de la répétition, elle a elle aussi immédiatement accepté. Un spectacle où l’ambition est de montrer que même usé, le corps continue à parler. C’est ce qu’on appelle l’humanité.
Anne Théron