Textes Harold Pinter, mise en scène Alexandre Zeff
Théâtre 13, Paris 2007
Jean-Baptiste Droulers : création sonore

« Au lieu d’une incapacité quelconque à communiquer, il y a en chacun de nous un mouvement intérieur qui cherche délibérément à esquiver la communication. »
Harold Pinter

Ben et Gus, tueurs à gages déguisés en serveur attendent le client. Le temps qui passe, lentement, trop lentement… devient gênant.
Apparaît alors un étrange monte-plats venu d’ailleurs qui se met à réclamer des plats cuisinés.
Malgré la mise en garde de Ben, Gus s’interroge. Mais il y a certaines questions qu’il est dangereux de poser.….Il l’apprendra à ses dépens.
Quelques mètres plus haut et quarante ans plus tard le monte-plats est chez lui dans Célébration.
Remontés des profondeurs du passé, nous sommes maintenant dans un restaurant de luxe chez nos contemporains.
Un jeune serveur amène des plats cuisinés à trois couples qui boivent, fument et se dévorent. Il tente de communiquer avec ces couples (d’ailleurs nombreux dans le théâtre de Pinter), mais ses efforts restent vains et le conduisent à déformer le réel afin de parvenir à le comprendre, à l’exprimer, ou le fuir peut être pour trouver une issue : La poésie ? La mort ? Le monte-plats ?

Harold Pinter fait fusionner deux mondes : celui de la situation quotidienne, consciente, de la réalité de surface, dont chacun se sert hâtivement, faute de mieux, afin de se guider sous les apparences les plus grossières parfois, et celui de la réalité cachée, de la réactivité intrapsychique, qui contredit l’autre, l’altère et donne toute l’épaisseur psychologique à ses personnages. Il exprime ainsi le dialogue intérieur guettant l’instant où la vérité les envahit comme une révélation, démasquant alors la contradiction totale entre ce qui est dit et ce qui est ressenti.
Il s’agit donc d’exposer les choses non pas telles que nous croyons les voir mais telles quelles sont vraiment, c’est-à-dire transposées à travers le prisme de notre imagination, comme à travers un miroir déformant.

Afin de construire cet univers difforme, le travail se construit comme à l’intérieur d’un cadre dans lequel on décide de ce qui doit être exalté ou non, selon la séquence. Chaque élément visible a une force en soi, ajouté à l’ensemble. Cela conduit à une direction d’acteur extrêmement précise, du plus petit mot au clignement d’oeil afin de rendre visible ce qui d’ordinaire est noyé dans une agitation générale. Autour de la table du restaurant, celui qui continu de mâcher la viande pendant que les autres se taisent, prend alors tout son sens. 

Le travail appelle alors à regrouper les différentes forces de arts vivants, cinématographiques ou plastiques. La peinture par exemple : l’équilibre des formes et des couleurs, l’arrêt du temps. La danse, c’est-à-dire la maîtrise du corps, le sens du rythme, la chorégraphie des gestes du quotidien. Et enfin la photographie pour la puissance d’une image, d’un regard, d’un angle de vue. Tout ce qui peut alors transcender est utilisé pour découvrir des formes nouvelles d’expression.

Aujourd’hui plus que jamais, l’oppression politique, sociale et morale érodent les libertés fondamentales. Ainsi la conscience refoule certains des ses besoins vitaux au plus profond d’elle-même. Ce comportement apparemment anodin permet à l’homme de s’intégrer au sein de la société, et le conduira inévitablement à son propre égarement, se construisant un personnage sur-mesure, édulcoré de toute sa spontanéité. En s’attaquant au subconscient, Pinter va directement à l’essentiel : il heurte les préjugés profonds, moraux et esthétiques.  Ses pièces acquièrent un pouvoir subversif en donnant à l’homme une image gênante. Elles contribuent à ébranler les stéréotypes, elles encouragent la suspicion à l’égard des discours aliénants, elles favorisent l’écoute différente de ce qui se produit à nos côtés, le plus souvent, dans le malaise. Le personnage pinterien, ne pourra jamais s’en apercevoir, puisqu’il se développe, sous nos yeux, dans un mensonge perpétuel.